10 questions à Rémi Leblanc-Messager (archive)

10 questions posées à nos auteurs pour mieux apprécier leur travail

Suis Sommes Nous Une Ga

Bienvenue dans cette nouvelle rubrique "10 questions à..." 

A l'occasion de la rentrée 2022, l'Association Française d'astronomie a souhaité créer un lien encore plus fort avec la communauté des astrophotographes. Dans cette optique, nous vous invitons tous les mois à un décryptage d'une photo caractéristique du travail de l'un de nos auteurs suivi d'une rencontre avec ce dernier pour découvrir ou redécouvrir son travail.
Ceci afin de valoriser le travail des astrophotographes et d'offrir à leurs visiteurs un nouveau regard sur la photo et l'ouvrir ainsi au plus grand nombre. Un regard sur la photo plus orienté artistique et personnel que technique. A l'image de ce que nous faisons sur le terrain avec nos animations ou formations, en remettant ainsi l'astronomie et la découverte du ciel au centre de notre pratique d'éducation populaire. Et pourquoi pas, donner envie. Créer l'envie. 
Nous espérons que ces quelques lignes pourront vous apporter un nouvel éclairage sur leur travail qui mérite d'être mis en avant.
C'est ce que nous efforçons de faire en tous cas
Bonne lecture !

L'équipe de Galleryastro

Ce mois-ci nous vous donnons rendez-vous avec
Rémi LEBLANC-MESSAGER

Screenshot 5

Filé d'étoiles sur passerelle parisienne
rencontre avec son auteur

DA-Leblanc-Messager_-_Passerelle_Céleste

1- Raconte-nous la genèse de cette photo, ses conditions de prise de vue

La mise en route pour faire cette photo est plutôt classique par rapport à la façon dont je travaille. J'ai pris la fâcheuse tendance, quand je me balade dans Paris, de tout regarder avec le prisme de potentielles photos. Ce qui n'est pas très pratique quand tu as le nez en l'air à regarder les toits et que tu fais du vélo. C'est au cours d'une balade le long de la Seine que j'ai remarqué cette ouverture dans la passerelle. Après un petit tour sur internet pour comprendre l'orientation de la prise de vue, ce qui va donner le dessin des trajets des étoiles, j'ai fait un dernier repérage sur place pour trouver la bonne focale et trouver le bon cadre. La passerelle Léopold-Sédar-Senghor est bourrée de lignes donc c'est un vrai plaisir de jouer avec. Le plus compliqué est plutôt de trouver la bonne nuit pour la photographier. Dans cette photo c'est surtout le temps de prise de vue qui va compenser le manque d'étoiles dans le ciel parisien. En gros tu as le matériel prêt, les batteries chargées et tu attends la bonne fenêtre météo.
Ça peut prendre un peu de temps. Pour Passerelle Céleste, le repérage date de début juin et la réalisation mi-août.

2- Pour cette photo en particulier, quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Pas tant des difficultés que des inconvénients liés à la pratique du filé d'étoiles. Pour faire cette photo, il y a environ 5 heures de prise de vue. C'est une vraie expérience du Temps. Comme la photo est en plein centre de Paris avec pas mal de passage, il faut rester à côté de l'APN. Une fois que l'appareil est configuré pour les cinq prochaines heures, il faut trouver des occupations. Et c'est là que ça devient mental, parce qu'il est trois heures du matin, que tu es crevé, qu'il reste encore deux heures de prise de vue et que tu te dis «pourquoi je m'inflige ça...». Mais bon tu écoutes ton 10ème podcast de la nuit, tu manges un fruit et ça repart ! Il y a aussi les noctambules qui sont tes meilleurs alliés. Ils sont curieux de te voir prendre des photos de nuit sous une passerelle et tu peux discuter avec eux. Mais parfois c'est aussi ces nombreux passages qu'il faut savoir gérer. Sur la passerelle qui se trouve entre le musée d'Orsay et le jardin des Tuileries, j'ai dû avoir environ 150 personnes de passage dans le cadre pendant le prise de vue. C'est une petite gestion du flux mais qui te permet aussi de ne pas trop t’ennuyer.

3- En quoi cette photo est représentative de ton travail?

Elle est très représentative de mon travail car c'est un filé d'étoiles dans Paris. Faire des photos d'étoiles dans le pire de la pollution lumineuse peut sembler antinomique mais finalement c'est possible et pas très compliqué. Paris est une ville qui m'inspire beaucoup par sa richesse architecturale et la multitude d'endroits photogéniques. La composition, le paysage, l'histoire de la photo sont aussi importants, voir même plus que les étoiles dans le ciel. En ville, c'est aussi la gestion de la lumière qui va être très différente du paysage dans un ciel sans pollution lumineuse. Ici la lumière artificielle est très présente. D'ailleurs sur la photo, l'étrange luminosité de la passerelle est dûe au passage d'une péniche-restaurant très lumineuse pendant la prise de vue. Il faut savoir jouer avec. Il y a aussi la présence de la Lune sur la photo qui est très importante dans Passerelle Céleste. Elle n'est pas directement visible dans le cadre mais sa compagnie nappe le ciel d'un bleu qui est assez important pour moi. Je travaille quasiment uniquement avec la Lune dans le ciel pour sa lumière. C'est une alliée extrêmement précieuse pour la photographie. Donc finalement quand il faut associer nuits complètes sans nuages et Lune dans le ciel au moment de la prise de vue, les occasions de faire des photos de filés d'étoiles ne sont pas si nombreuses.

4- Y a-t-il un message général derrière ton travail ?

J'aime penser qu'il est possible de faire de belles photos dans les lieux de notre quotidien et qu'il ne faut pas avoir peur de faire de la photo d'étoiles dans ces endroits. Pour moi c'est Paris car c'est le lieu où j'habite mais j'encourage chacun à mettre en valeur son environnement direct. Que cela soit en ville ou non. J'ai fait pas mal de filé d'étoiles avec de célèbres monuments parisiens comme la Tour Eiffel, le Louvre, les Invalides, le Sacré Cœur... mais je trouve que parfois cela manque un peu de poésie. Je préfère faire des photos plus intimes avec de petites scénettes : un pont, une lucarne, une fenêtre, un toit. Finalement ce sont plus des photos dans Paris que des photos de Paris. Je pense que plus globalement, le message à travers les photos que je réalise c'est aussi d'encourager les gens à oser. On me pose souvent la question : quel est le meilleur conseil pour quelqu'un qui débute ? Ma réponse est toujours la même : faire. Il est possible de réaliser des photos sans un matériel ultra coûteux et de prendre énormément de plaisir. Se planter c'est quand même un bon moyen de progresser !

5- Plus généralement, quelle est la photo dont tu es le plus fier ?

Je pense que la photo dont je suis le plus fier est « Fenêtre sur le Cosmos ». C'est une photo qui date d'avril 2020, en plein confinement strict. J'avais envie de raconter ces scènes de vie où la fenêtre a sûrement été l'un des endroit le plus vital pour les gens. C'était le seul accès vers l'extérieur, ô combien précieux, dans les chambres de bonnes sous les toits de zinc parisiens. Le couple sur la photo est un exemple parmi tant d'autres de ces personnes qui ont vécu dans de tout petits espaces pendant cette étrange période à gérer au quotidien l'enfermement et le manque de place. Le ciel a été si important. Que cela soit le soleil qui a baigné cette époque mais aussi le ciel nocturne est ses astres. Combien de personnes ont levé pour la première fois les yeux vers les étoiles pendant le confinement ?
C'est aussi mon histoire pendant ces 55 jours de 2020. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé mes balades sur les toits de Paris car confinement et couvre-feux sont souvent peu pratiques pour la photo de paysage urbain de nuit.

6- Une photo d'un autre auteur que tu aurais aimé faire ?

Ce sont surtout des images que j'aurais aimé faire car j'en suis incapable, ainsi que toute l'aventure qui va avec. La photo de Camille Niel avec le Mont Saint-Michel depuis le nord avec une voie lactée au sud, c'est quand même quelque chose. Il y a une superbe vidéo making-of de la prise de vue. Quand tu connais les conditions dans cette zone avec les sables mouvants, la marée... quelle aventure. Même histoire pour les photos de Jean-François Gely avec des conditions de prise de vue dantesques dans la neige comprenant des kilomètres en ski de randonnée. C'est bien visible sur la photo "Gardien des étoiles" présentée dans cette rubrique avec les reflets de la Lune dans la neige.
Il y a une photo que j'aime beaucoup aussi, c'est un filé d'étoiles très simple au-dessus d'un terril entouré d'une zone urbaine dans le nord de la France. C'est une photo de Mickaël Coulon. J'ai tout de suite ressenti un truc comme dans la première scène de Blade Runnner de Ridley Scott. Le travail tout en lumière de Laurent Laveder en Bretagne, les photos de ville de Marco Meniero en Italie... j'oublie encore plein de superbes photos. C'est vraiment très chouette de découvrir une région ou une ville par le biais du paysage nocturne avec une vraie démarche de la part des auteurs. J'ai beaucoup de plaisir à découvrir le travail des autres. Leur univers, leur façon de concevoir la nuit, de comprendre leur sensibilité par rapport à cette magnifique discipline. J'aime aussi beaucoup les nombreuses photos de Paul Second en diurne qui est un sacré casse-cou sur les toits de Paris. Ce sont des paysages que j'adore.

7- Qu'est-ce que la photo astro pour toi ? Que représente-elle ?

La photo astro est un immense vecteur d'imaginaire. L'astronomie et la photographie sont quand même des disciplines incroyables. Le paysage nocturne est l'espace parfait entre compréhension des mouvements célestes et art de la photographie. J'ai envie de renforcer ce lien entre les deux pour créer des images. Je trouve qu'une image est magnifique quand elle est juste dans cet équilibre là. Quand le cadrage, la réalisation et l'idée rendent la lecture de la photo multiple. Qu'est ce qui est le plus important dans une image de paysage nocturne : les étoiles, la voie lactée, le paysage, la couleur, l'imaginaire ou l'émotion que cela dégage ? Sûrement un équilibre entre tout cela sans que l'un ou l'autre ne prenne le dessus. Et la photo astro c'est surtout aussi beaucoup de plaisir. Plaisir à mener des projets qui commence par une nébuleuse d'idées derrière la tête jusqu'à la réalisation finale.

8- Quel avenir souhaites-tu ou vois-tu pour la photo astro dans les 10 prochaines années ?

J'aimerais que la photo de nuit puisse attirer des deux côtés de la discipline. Que cela soit pour les passionnés d'astronomie une porte d'entrée vers l'art et vers la folie créative. Et de l'autre côté, les photographes diurnes puissent prendre conscience du potentiel de la photo de paysage nocturne et lui accorder un plus de crédit. J'adorerais encore plus de rencontres sur cette thématique avec les artistes entre eux, le public et toutes les personnes aimant cet art. Cela va déjà dans le bon sens mais il faut continuer ces efforts dans les années à venir. Il y a encore plein de choses à inventer et à trouver pour faire encore plus vivre la photo astro et la démocratiser au maximum.

 9- Ta prochaine cible ?

Toujours continuer avec la photo de filé d'étoiles dans Paris. J'ai une liste de projets dont les repérages ont déjà été effectués mais j'attends la bonne météo et la bonne lune pour les réaliser. Ce ne sont pas les idées qui manquent ! J'ai aussi envie d'explorer d'autres lieux. Je suis originaire de Bretagne et je suis toujours autant fasciné par la beauté du littoral armoricain qui offre une variété de paysages extrêmement différents du nord au sud de la région. Je garde ça dans un coin de ma tête pour les mois et les années à venir.

10- Enfin, quand tu ne fais pas de photo, à quoi passes-tu ton temps de loisir ?  

J'ai un métier qui m'occupe pas mal mais qui me laisse aussi beaucoup d'espace créatif. Je suis danseur professionnel donc je suis à droite à gauche en tournée dans les théâtres en France et à l'étranger. Sinon je suis passionné d'astronomie et plus particulièrement au contact du public. Transmettre aux gens ce qui me fascine à travers des soirées d'observation, de la formation, de l'animation. C'est au sein de l’Association Française d'Astronomie que j'ai la chance de faire tout ça. Dans le même champ lexical, je suis aussi un grand amateur de littérature de science-fiction de tout genre : classique des années 50, space opéra, uchronie, hard SF... La dernière claque que j'ai prise est la trilogie de l'auteur chinois Liu Cixin avec Le Problème à trois corps.