Un remords me fait saigner
de voir un ciel
que ne voient plus tes yeux,
de caresser des roses
nourries de tes os !
Chair misérable,
pulpe piteuse, accablée de lassitude
qui ne descend pas dormir à ton côté,
mais s’accroche, tremblante,
au sein impur de la vie !

Cet extrait de poème, au ton désespéré, est extrait de l’œuvre de la poétesse chilienne Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature en 1945. De son vrai nom Lucila Godoy Alcayaga, le poème qui la rend célèbre, tiré de son recueil Desolación (Désespoir) publié en 1922, est inspiré d’un épisode tragique de la vie de la poétesse : le suicide de son amoureux qui se tua d’une balle dans la tête et sur qui on retrouva une lettre adressée à Lucila. Une histoire qui nourrira sa légende et dont on ne retiendra, explique la spécialiste en études hispaniques Catherine Pergoux-Baeza, que certains motifs poétiques, tels que la passion amoureuse, l’obsession de la mort, l’éternité, Dieu, la nature et la vie rurale. Très connu en Amérique Latine, son nom servira à baptiser nombre d’écoles, de parcs et de places.
Et aussi… un nuage cosmique. Une nébuleuse baptisée par les astronomes NGC 3324, magnifiquement travaillée par l’astrophotographe français, Christian Bertincourt, à partir de données issues du site "Telescope Live" et prises avec un télescope Takahashi FSQ-106ED f/3.6, situé à l'observatoire Heavens Mirror (Australie) en février 2023. L’auteur de cette image explique que « ce nuage cosmique lumineux a été sculpté par les vents stellaires et le rayonnement intense provenant de ces jeunes étoiles ont formé un creux dans la poussière et le gaz environnants. Avec sa silhouette rougeoyante, la région formatrice d'étoiles s'étend sur environ 35 années-lumière. Elle se trouve à environ 7 500 années-lumière de la Terre, dans la constellation australe riche en nébuleuses de la Carène. Composée d'atomes de soufre, d'hydrogène et d'oxygène ionisés, avec leurs teintes rouge, verte et bleue ». Et ajoute que dans la nébuleuse "Gabriela Mistral", « les contours du mur de gaz et la poussière sur la droite dessinent une forme ressemblant fortement à un visage humain de profil, avec la « bosse » au centre correspondant au nez ».
En grand format, la puissance de cette image est indéniable. Sa profondeur est exceptionnelle, sa définition stupéfiante, et la qualité du traitement des contrastes et des couleurs est celle d’un travail professionnel et… amoureux. En effet, il faut aimer ce ciel, ses profondeurs, comme la plus grande poétesse chilienne aimera la vie dans toutes ses nuances, sa complexité, et sa secrétaire particulière (en cachant ce secret inavouable dans un pays très catholique et conservateur) pour toucher au sublime.
A plus de 9000 années-lumière de la Terre, au nord-ouest de la nébuleuse de la Carène, cet amas ouvert nous rappelle qu’une image, comme un poème, se lit toujours mieux avec le cœur.

Alain Cirou

Copyright : Christian Bertincourt