10 questions à Thomas Appéré (archive)

10 questions posées à nos auteurs pour mieux apprécier leur travail

Suis Sommes Nous Une Ga

Bienvenue dans cette nouvelle rubrique "10 questions à..." 

A l'occasion de la rentrée 2022, l'Association Française d'astronomie a souhaité créer un lien encore plus fort avec la communauté des astrophotographes. Dans cette optique, nous vous invitons tous les mois à un décryptage d'une photo caractéristique du travail de l'un de nos auteurs suivi d'une rencontre avec ce dernier pour découvrir ou redécouvrir son travail.
Ceci afin de valoriser le travail des astrophotographes et d'offrir à leurs visiteurs un nouveau regard sur la photo et l'ouvrir ainsi au plus grand nombre. Un regard sur la photo plus orienté artistique et personnel que technique. A l'image de ce que nous faisons sur le terrain avec nos animations ou formations, en remettant ainsi l'astronomie et la découverte du ciel au centre de notre pratique d'éducation populaire. Et pourquoi pas, donner envie. Créer l'envie. 
Nous espérons que ces quelques lignes pourront vous apporter un nouvel éclairage sur leur travail qui mérite d'être mis en avant.
C'est ce que nous efforçons de faire en tous cas
Bonne lecture !

L'équipe de Galleryastro

Ce mois-ci nous vous donnons rendez-vous avec
Thomas APPERE

Appere Thomas Naec France

Lever de Soleil sur les reliefs martiens,
rencontre avec son auteur

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1- Raconte-nous la genèse de cette photo, ses conditions de prise de vue

Je consulte régulièrement les sites web des "Raw images" des rovers Curiosity et Perseverance, sur lesquels sont postées quotidiennement les images brutes acquises par nos deux émissaires robotiques sur la planète Mars. Je suis en particulier à l'affut des images prises en début de matinée ou en fin d'après-midi martienne, au moment de "l'heure dorée" des photographes. La lumière est plus douce, les ombres s'allongent mettant en valeur la texture des reliefs. C'est le cas pour cette mosaïque de 25 images obtenues par le rover Curiosity le 3 juillet 2022 à 7h15 heure locale martienne, soit 1h20 après le lever du Soleil. Curiosity a ici utilisé sa caméra MastCam-100, de focale 100 mm et située sur sa "tête", à deux mètres de hauteur.
Lorsque j'ai parcouru les images acquises par Curiosity ce fameux 3 juillet, j'ai tout de suite été séduit par le dégradé progressif qu'on observe d'une colline à l'autre et qui accentue l'effet d'éloignement. Je me suis empressé d'assembler ces images pour découvrir le panorama global et je n'ai pas été déçu ! La vue plonge à travers le col "Paraitepuy Pass", séparant les buttes Deepdale et Bolívar, qui occupe la partie droite de l'image. Plus loin à gauche se dresse l'imposante colline Kukenán, haute d'une centaine de mètres et dont les flancs sont à contre-jour. En arrière-plan, baignées dans la lumière diffuse de ce petit jour se découpent les pentes du Mont Sharp. Une vraie invitation à l'exploration.

2- Pour cette photo en particulier, quelles difficultés as-tu rencontrées ?

Le temps d'exposition varie assez fortement entre les différentes images de la mosaïque, suivant que la caméra pointe vers une zone où domine le ciel ou vers la surface. Je dois composer avec car je ne suis pas aux commandes de la caméra qui prend les photos :-) Le logiciel d'assemblage de panorama que j'utilise, PTGui Pro, parvient généralement à bien homogénéiser l'image. Cependant, les variations d'exposition sont telles que les coutures entre certaines images restaient visibles malgré la correction automatique. J'ai donc du procéder à certains ajustements manuels de l'exposition.

3- En quoi cette photo est représentative de ton travail?

La mission des rovers Curiosity comme Perseverance est principalement de comprendre le passé géologique des sites explorés. Ce sont les scientifiques des missions qui décident des endroits où doivent pointer les caméras des rovers. Ces images sont donc prises au service de la science. Mais elles permettent bien plus que cela : elles offrent un moyen direct de nous imaginer sur Mars, aux côtés des rovers. Mon travail consiste à retraiter ces images pour donner l'impression qu'elles sont l'œuvre d'un photographe explorant la planète rouge. Je commence par recadrer le panorama en une composition esthétique. Puis je complète le ciel dont seule la fraction au-dessus de l'horizon est photographiée. En effet, les géologues aux commandes des caméras des rovers sont plus intéressés par les roches que par le ciel ! De plus, les équipes des rovers doivent optimiser le nombre d'images acquises, paramètre qui est contraint par le débit entre Mars et la Terre.
Dans certains cas, les rovers réalisent des panoramas à 360°. Je complète alors le ciel jusqu'au zénith, en situant le Soleil à sa position adéquate pour le jour et l'heure du panorama. Il est alors possible de visionner ces panoramas avec un casque de réalité virtuelle. Ces vues immersives sont une façon très puissante d'immerger le spectateur dans le paysage martien.

4- Y a-t-il un message général derrière ton travail ?

A travers mes traitements d'images martiennes, je cherche à partager ma fascination pour l'exploration de la planète Mars. Fascination pour cette planète habitée seulement par des robots, enveloppée d'un silence brisé seulement par des bourrasques de vent. Fascination pour la beauté de ce désert minéral, dont les affleurements sont comme des livres ouverts sur l'histoire passée de Mars. Fascination pour ces paysages encore jamais foulés par les humains, sur lesquels nous sommes les premiers à poser les yeux, avec une passion toute particulière pour les régions vallonnées. Une passion née des séjours passés chaque été en montagne avec mes parents : mon plaisir était de découvrir le paysage qui se dévoilait progressivement lors des randonnées. J'étais adolescent lors de la mission Mars Pathfinder et je rêvais alors que le petit rover Sojourner puisse gravir les collines Twin Peaks à l'horizon. Quelques années plus tard, le rover Spirit concrétisait ce rêve, parvenant au sommet de la colline Husband et nous offrant un point de vue inédit sur les plaines alentours. Avec le rover Curiosity, le plaisir est décuplé, on est aux premières loges d'une randonnée en montagne comme l'illustre très bien cette image.
Je trouve aussi fascinant l'ambivalence des paysages désertiques martiens, qui à la fois rappellent certains déserts terrestres et s'en distinguent par leurs couchers de Soleil bleus et leurs températures glaciales, -70°C par exemple lorsque cette image a été prise.
Quelque soit l'endroit où porte le regard, Mars est dépourvue de vie. C'est un désert glacial, totalement inhospitalier, à l'atmosphère irrespirable. Mes traitements d'images permettent de prendre conscience, si cela est encore nécessaire, du caractère si précieux de notre planète Terre.

5- Plus généralement, quelle est la photo dont tu es le plus fier ?

Clairement celle du panorama acquis par le rover Perseverance à Seítah Sud. Les 29 clichés qui le constituent ont été réalisés par l'une de ses caméras de navigation. C'est le premier panorama à 360° acquis depuis la surface martienne qui inclue à la fois la totalité de la surface et du ciel, offrant la possibilité d'une réelle immersion dans le paysage martien. L'assembler fut un vrai défi en raison notamment de la forte différence d'exposition entre chaque image et du vignettage important pour cette caméra. Je suis vraiment content du résultat ! La lumière met très bien en valeur le paysage et la zone de travail du rover où deux forages ont été réalisés.

6- Une photo d'un autre auteur que tu aurais aimé faire ?

J'aime beaucoup le panorama réalisé par Olivier de Goursac à partir des images prises par le rover Curiosity au site de Yellowknife Bay. L'ambiance du coucher de Soleil est très bien retranscrite avec une belle reconstruction du ciel. Olivier de Goursac est d'ailleurs l'une des personnes qui m'ont transmises la passion pour l'exploration de Mars et les traitements d'images grâce à son livre "A la conquête de Mars".
Plus généralement, je suis très admiratif du travail des autres auteurs et autrices telle que de Damia Bouic, notamment pour ses magnifiques colorisations des panoramas noir et blanc acquis par les caméras de navigation de Curiosity.

7- Qu'est-ce que la photo astro pour toi ? Que représente-elle ?

Nous autres qui travaillons sur les images acquises par les rovers et sondes qui explorent le Système solaire utilisons généralement les mêmes logiciels de traitement que nos collègues astrophotographes, mais nous ne sommes pas derrière l'objectif lorsque la photo est prise. Mon travail consiste plutôt à repérer les pépites parmi la gigantesque collection d'images réunies par nos émissaires robotiques. C'est une manière d'explorer les autres mondes et de prendre part à la grande aventure de l'exploration spatiale.

8- Quel avenir souhaites-tu ou vois-tu pour la photo astro dans les 10 prochaines années ?

Je constate qu'un nombre croissant de personnes se lancent dans le traitement d'images spatiales. La mise à disposition quotidienne des images des rovers martiens y est certainement pour quelque chose car elle permet de vivre jour après jour leurs aventures. Je pense que la mission Juno, qui orbite autour de Jupiter, participe aussi à cet engouement. Il a été décidé qu'aucune équipe scientifique ne serait affectée au traitement des images de la caméra JunoCam : seuls les citoyens sont en charge de ce traitement, travail que mène par exemple Thomas Thomopoulos. L'objectif est d'impliquer au maximum le public en lui offrant l'opportunité d'être le premier à découvrir ces images de Jupiter et ses lunes. Le public peut même voter sur le choix des zones à photographier. Je souhaite que de telles initiatives se reproduisent dans les années à venir. Les collaborations professionnels-amateurs ont beaucoup à offrir dans l'imagerie étant donné la quantité de données recueillies.

 9- Ta prochaine cible ?

J'ai identifié de nombreuses séquences d'images que je souhaiterais assembler mais le temps me manque, sachant que de nouvelles images arrivent tous les jours ! Dans l'immédiat, ma prochaine cible est un panorama à 360° acquis par le rover Curiosity début novembre au site nommé "Marker Band". Au détour d'un relief, la vue s'est ouverte sur une succession de collines, le regard portant sur plusieurs kilomètres jusqu'à des falaises impressionnantes.

10- Enfin, quand tu ne fais pas de photo, à quoi passes-tu ton temps de loisir ?  

J'assemble et collectionne des maquettes liés à l'exploration spatiale, que ce soient des modèles Metal Earth ou LEGO comme la Saturn V ou la navette spatiale mais aussi des MOC (My Own Creation, créations personnelles en briques LEGO). Je suis passionné par les LEGO depuis mon enfance, une passion que je partage maintenant avec mon fils de 6 ans.
J'apprécie aussi les balades en famille et la lecture d'un bon livre.
Je joue également du clavier dans le groupe de rock des enseignants et enseignantes du lycée. Un bon échappatoire !